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Battling Siki : Le poing rebelle qui défia un monde blanc-une légende oubliée du ring africain

Dans l’ombre des rings enfumés des années folles, un géant sénégalais émerge : Battling Siki, le premier africain à ceindre une couronne mondiale de boxe. Né sous le joug colonial, il frappe fort contre Georges Carpentier en 1922, refusant les combines et les chaînes invisibles du racisme. Mais sa gloire vire au cauchemar alcool, scandales, et une balle dans le dos à 28 ans. Héros ou pantin tragique ? Son histoire cogne encore aux portes de l’oubli, rappelant que la victoire se paie cher quand on est noir dans un monde qui vous veut à genoux.

Les racines : de Saint-Louis à l’enfer des tranchées

1897, Saint-Louis-du-Sénégal, perle coloniale française. Amadou M’Barick Fall grandit orphelin, arraché jeune à sa terre pour atterrir en Europe, abandonné comme un bagage oublié. À 10 ans, il trime, survit, et découvre la boxe ce poing serré contre l’injustice. La Grande Guerre le happe : tirailleur sénégalais, il charge sous les obus, gagne la Croix de Guerre et la Médaille Militaire pour bravoure. Déchargé honorable, il remonte sur le ring en 1919, enchaînant 44 victoires en 47 combats, dont 22 knock-outs. Un colosse de 1m85, 80 kilos de muscles et de rage, surnommé « Battling Siki » pour son style tourbillonnant, comme un moulin à vent qui broie les os.

Mais Paris, la Ville Lumière, est un piège. Siki parade en smoking, adopte un lionceau et une guéparde comme animaux de compagnie un pied de nez aux Blancs qui le voient comme une curiosité exotique. Les journaux le caricaturent en singe boxeur, un « gorille savant ». Pourtant, il refuse les fixes : on lui propose de plier bagage contre Carpentier, l’idole française, l’Orchidée de l’Europe ». Siki rit et cogne.

Le Choc de 1922 : Un KO qui ébranle l’empire

24 septembre 1922, Vélodrome de Buffalo, Paris. 40 000 âmes hurlent pour Carpentier, champion light-heavyweight invaincu, héros de guerre et star d’Hollywood. Siki ? L’outsider, le « sauvage » à 20 contre 1. Le combat est truqué d’avance : l’arbitre, ami du promoteur de Carpentier, jure de disqualifier Siki au premier faux pas. Au sixième round, Siki envoie une droite fulgurante Carpentier s’écroule, K.O. net. Fou furieux, la foule envahit le ring ; l’arbitre crie « triche ! », accorde la victoire à Carpentier. Une heure plus tard, sous la pression, les juges renversent : Siki est champion du monde, d’Europe et de France. Premier Africain à l’emporter, il soulève la foule et l’Histoire.

Ernest Hemingway, dans les gradins, en tire « Fifty Grand ». Ho Chi Minh y voit un symbole anticolonial : « Pour une fois, un Noir payé pour cogner un Blanc. » Mais la revanche est vile : suspension immédiate, titres confisqués pour une broutille (une bousculade anodine). Siki file aux States en 1923, affronte des mastodontes comme Jack Dempsey (sans le titre), accumule les K.O. mais glisse alcool, fêtes, rumeurs de fixes refusés. En juillet 1925, poignardé après un combat contre Jimmy Francis, lié à la mafia new-yorkaise. Payback pour ne pas s’être couché ?

Le prisme critique : un Héros brisé par le système

Franchement, Siki n’est pas un saint – mariages multiples (une Néerlandaise, une Américaine pour esquiver la déportation), frasques publiques, un lion en laisse pour choquer. Mais c’est du génie pur : il joue le « sauvage » pour subvertir, comme Muhammad Ali ou Mike Tyson plus tard, qui copient son crochet gauche et ses félins domestiques. 6 Son refus des combines ? Un acte de dignité pure, dans un sport gangréné par la truanderie et le racisme. Jack Johnson, premier Noir heavyweight en 1908, fuit déjà les lynchages ; Siki, lui, paie de sa gloire éphémère. À mon sens, c’est une tragédie shakespearienne : un homme qui ose, et que le monde brise. Oublié des Hall of Fame jusqu’en 2018, son crâne repose enfin à Saint-Louis depuis 1993 – un retour triomphal, mais tardif. Le Sénégal devrait en faire un monument, pas un hôtel kitsch.

Le dernier round : relève-toi, légende

Battling Siki n’est pas mort dans une ruelle de Hell’s Kitchen le 15 décembre 1925 il boxe encore dans nos mémoires. Son poing, refusant la chute truquée, hurle : la gloire africaine existe, malgré les balles et l’oubli. Sénégal, honore-le vraiment stades, films, icônes. Car dans un monde qui truque toujours les combats, des Siki comme lui nous rappellent : cogne fort, et ne plie jamais. Le gong sonne pour l’éternité. 🥊

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